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Graffitis queers. Genre et sexualité dans les réappropriations LGBTQ de l'espace urbain à San Francisco
Guillaume Marche  1@  
1 : Institut des Mondes Anglophone, Germanique et Roman-IMAGER
Université Paris Est Créteil
Créteil -  France

San Francisco est, à de nombreux égards, emblématique du croisement entre la reconnaissance croissante des cultures LGBTQ, la gentrification des métropoles, la normalisation – voire l'aseptisation – des espaces urbains et le triomphe du néolibéralisme sous couvert de revitalisation et de ville intelligente. Pourtant, le rôle des communautés LGBTQ dans ces processus est loin d'être univoque et la militance LGBTQ est également un réservoir de résistance à la marchandisation de la ville – et ce, d'autant plus que celle-ci a notamment pour effet d'invisibiliser certains aspects les moins acceptables des cultures LGBTQ. On pense ici à l'effacement des quartiers gays et à la disparition des établissements commerciaux de sociabilité sous la pression foncière et locative, mais aussi, par exemple, à la désexualisation de la culture commerciale du Castro, tandis que, dans le SOMA (South of Market), l'histoire sulfureuse de ce quartier, qui reste emblématique des cultures cuir et BDSM, est source de profit – l'attrait croissant de la Folsom Street Fair bien au-delà des cercles cuir, BDSM et même LGBT ou queer en est une illustration.

Face à cet effacement et à cette normalisation, divers types d'intervention dans l'espace public tentent de réaffirmer et de relégitimer une culture et une militance LGBTQ offensives, disruptives et sexualisées. On pense notamment à la Dyke March, qui fait pendant à l'une des marches des fiertés LGBTQ les plus institutionnalisées et les plus semblables à une parade, mais aussi à des formes d'intervention plus infrapolitiques comme les graffitis, la théâtralité des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, ou encore la nudité en public. Je propose de me centrer ici sur les graffitis véhiculant une affirmation identitaire LGBTQ offensive et sexualisée. On se demandera dans quelle mesure ces réalisations font effectivement pièce non seulement à l'invisibilisation, mais aussi à la normalisation du San Francisco LGBTQ. Il ne s'agira pas d'évaluer l'efficacité des graffitis, mais plutôt de se demander si la pratique induit, en particulier, des biais genrés qui – pour simplifier – construisent l'homosexualité comme une identité masculine. On peut en effet rapprocher son caractère oppositionnel et dissident de celui de la nudité en public – objet de débat au sein même de la communauté LGBTQ san-franciscaine – qui est une pratique majoritairement masculine.

Ce questionnement est à rapprocher de l'aspect a priori fondamentalement individuel, voire individualiste de la pratique des graffitis, qui s'inscrit aussi dans des stratégies de promotion et de carrière artistique personnelles. A contrario, si le marketing urbain a su tirer profit des cultures et des communautarismes LGBTQ, n'est-il pas susceptible d'instrumentaliser aussi un street art qui gagne en popularité et en reconnaissance ? Et donc, in fine, de patrimonialiser les graffitis queers dans une ville déjà passablement muséifiée. Cette communication a pour objectif de poser des questions autant que d'apporter des réponses. Elle s'inscrit dans le cadre d'un travail en cours et revêt un caractère quelque peu exploratoire. Elle s'appuiera sur des exemples et sur l'analyse d'images.

 

Note biographique

Guillaume Marche est Professeur de Civilisation nord-américaine à l'Université Paris-Est Créteil et directeur de l'équipe de recherche IMAGER (Institut des Mondes Anglophone, Germanique et Roman – EA 3958). Ses recherches portent sur les mouvements sociaux contemporains aux États-Unis (en particulier le mouvement LGBTQ), les identités sexuelles, la subjectivité et le rapport entre le culturel et le politique. Ses travaux récents concernent également les formes infrapolitiques d'intervention dans les espaces publics à San Francisco (graffitis, mur peints, végétalisation, théâtralité LGBTQ, nudité), ainsi que l'usage des biographies et des mémoires de militants LGBTQ dans la sociologie des mouvements sociaux. Il est l'auteur de La militance LGBT aux États-Unis. Sexualité et subjectivité (Presses Universitaires de Lyon, 2017) et de plusieurs publications sur San Francisco : « What Can Urban Greening Really Do about Gentrification? A Case-Study of Three San Francisco Community Gardens » (European Journal of American Studies 10.3, 2015) ; « Local Democracy and Public Spaces in Contest: Graffiti in San Francisco » (Democracy, Participation and Contestation: Civil Society, Governance and the Future of Liberal Democracy, dir. E. Avril et J. Neem, Routledge, 2014) ; « Graffiti as Infrapolitics: A Study of Visual Interventions of Resistance in San Francisco » (The SAGE Handbook of Resistance, dir. D. Courpasson et S. Vallas, Sage Publications, 2016).


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